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À la rencontre des musulmans

À la rencontre des musulmans

     

             

 

Leïla HAMITOUCHE France-Antilles Martinique 11.04.2011

Si le chiffre des musulmans n'est pas connu précisément, il oscille entre 500 et 3000, la communauté reste relativement discrète en Martinique. (Wilfrid Téreau/France-Antilles)

L'ISLAM EN MARTINIQUE. La loi sur le port du voile intégral entre en vigueur aujourd'hui. Bien que cette disposition les concerne peu, les musulmans de Martinique restent attentifs aux débats sur l'islam en France. Cette minorité religieuse discrète devrait devenir plus visible avec la reprise des travaux de la mosquée monumentale, route de Balata.

Qui sont ces musulmans ? Comment cohabitent-ils avec les autres religions de l'île ? Eclairage.

(1) Si Dieu veut.

- La mosquée pour 2012, inch'Allah Si Dieu veut. ...

Depuis quelques semaines, les débroussailleuses ont repris du service et une poignée d'ouvriers essayenet de redonner belle figure à la mosquée de Balata.Depuis quelques semaines, les débroussailleuses ont repris du service et une poignée d'ouvriers essayenet de redonner belle figure à la mosquée de Balata.

On s'était habitué à voir le chantier à l'abandon, asphyxié par une jungle de mauvaises herbes. Mais depuis quelques semaines, les débroussailleuses ont repris du service et une poignée d'ouvriers essayent de redonner belle figure à la mosquée de Balata. Il faut aussi revenir sur des malfaçons, apporter des modifications avant de laisser place aux artisans marocains experts en décoration. Le monument, inspiré d'une mosquée située à Al-Bireh en Palestine, pourrait être achevé à la fin de l'année. C'est ce qu'avance Nasser Mansour, le trésorier de l'association du centre culturel islamique : « Inch'Allah (1) ce sera terminé au mois de décembre... » . Conscient de marcher sur des oeufs, il ajoute : « Nous ne sommes pas pressés, on veut faire quelque chose de beau qui restera une empreinte, un monument historique cultuel et culturel en même temps » .

Si le chantier s'achève bien en fin d'année, il aura fallu 17 ans pour en venir à bout. Le projet lui-même remonte à l'année 1984, les travaux de terrassement avaient débuté au début de l'année 1994. « Nous avons eu un litige avec un entrepreneur, il a dû arrêter les travaux et le centre culturel islamique l'a poursuivi en justice. Ensuite nous avons cherché d'autres sociétés sous le mode des appels d'offres » explique Nasser Mansour.

Pas de haut-parleurs pour l'appel à la prière

Il y aurait aussi eu des difficultés de financements, mais sur ce chapitre le prolixe commerçant préfère ne pas s'étendre. Tout comme sur le coût des travaux : « Je préfère attendre que tout soit terminé pour donner des chiffres. Je peux dire qu'il reste 100 à 150000 euros de travaux, et le terrain est aussi dans cet ordre de prix. Le financement est assuré à 65% par l'extérieur, principalement la ligue islamique mondiale, le reste ce sont les dons des fidèles » . Et ces derniers peuvent être très généreux : « Récemment, malgré mes réticences, une musulmane qui avait vendu un bien a fait un don de 10000 euros » .

Dans le voisinage de la mosquée les craintes, qui avaient surgi avec les premiers coups de pioche, refont surface. Une riveraine s'inquiète : « S'ils font l'appel à la prière comme on voit dans les pays arabes ça va être infernal, et puis ils vont se garer où ? Il n'y a pas de place! » « En islam, il est important de ne pas gêner les voisins, rassure Nasser Mansour. Les voisins ne seront donc pas dérangés par le chant du muezzin qui restera confiné à l'intérieur des murs, et des places de parking sont prévues autour du monument » . Loin de vouloir déranger le tranquille lotissement, les fidèles espèrent que ce lieu servira à rassembler la famille musulmane de Martinique, aujourd'hui scindée en deux.

Le projet lui-même remonte à l'année 1984, les travaux de terrassement avaient débuté au début de l'année 1994.Le projet lui-même remonte à l'année 1984, les travaux de terrassement avaient débuté au début de l'année 1994.

- INTERVIEW de Liliane Kuscinsky, anthropologue, chercheur au CNRS : « La présence de musulmans est loin d'avoir été érigée en problème »

Pourquoi vous être intéressée à l'islam en Martinique ?

Dans les années 1990, je faisais des travaux sur les marabouts africains à Paris et le métissage des pratiques avec l'islam. Dans le cadre de ces travaux, je suis venue en Martinique pour intervenir dans un colloque en 1998. La rencontre avec un marabout, Fodé Marega, m'a fait découvrir qu'il y avait bien d'autres musulmans dans l'île et m'a amenée à m'intéresser à l'installation de cette religion. J'ai fait plusieurs séjours entre 1999 et 2011. C'est un thème passionnant.

C'est ce marabout qui a permis à l'islam de se développer ?

Oui, cette religion, arrivée dans les années 1930 avec quelques familles palestiniennes, était réduite à quelques gestes dans un cadre purement familial. Il y a eu aussi des Africains de l'ouest à l'imprégnation musulmane plus forte, mais qui se manifestait toujours dans le cadre privé. Il y avait peut-être à cette époque- là, la volonté de se fondre dans le milieu martiniquais, encore très marqué par le catholicisme. Il faut dire aussi que très longtemps chez les Palestiniens notamment, c'est l'identité d'Arabe qui a prévalu. D'ailleurs ils ont créé un club arabe, avec des chrétiens et des musulmans, avant que soit ouverte une salle de prière. Dans les années 1970, Fodé Marega, ce marabout malien musulman a d'abord rassemblé des Africains musulmans, puis a invité les Palestiniens à rejoindre cette communauté naissante. Et surtout il a commencé à convertir des Martiniquais. Mais il a rapidement été confronté à des oppositions dans lesquelles entrent aussi bien des enjeux religieux, que personnels et locaux... Certains musulmans ont commencé à le critiquer en mettant en avant d'autres références religieuses car ils avaient été formés ailleurs, en métropole ou en Palestine, dans ce courant mondial de résurgence et d'affirmation de l'islam. Pour eux, fonder l'islam sur le maraboutisme était dommageable. Une minorité est restée fidèle à Fodé Marega, les autres ont constitué une autre communauté, au boulevard Allègre. Ce sont eux qui ont entrepris de construire la mosquée de Balata.


 

« Tourner le dos au catholicisme »

Avez-vous une idée du nombre de musulmans sur l'île ?

On parle de 500 à 3000 personnes, ce dernier chiffre étant exagéré. La communauté est marquée par des allers et venues incessants avec un noyau stable, donc cela reste à observer. L'islam constitue une très petite minorité religieuse qui ne peut se comparer en taille avec les évangéliques, adventistes, témoins de Jéhovah... Mais les musulmans s'efforcent de se structurer et pour certains, d'affirmer leur présence dans l'espace public.

Quels sont les parcours des Martiniquais convertis à l'islam ?

Ils sont très diversifiés. Il y a ceux qui ont été convertis auprès du marabout malien, venu à lui d'abord pour obtenir la guérison. D'autres sont issus du mouvement rastafarien, d'autres encore ont rencontré l'islam en métropole.

Ce qui ressort souvent de leurs témoignages c'est l'ouverture vers l'universel qu'ils trouvent dans l'islam et son égalitarisme : il y a une seule communauté dont les membres sont unis par des liens de fraternité. Cette affirmation de fraternité, au-delà de tout lien biologique prend d'autant plus de force, que la société martiniquaise est encore stratifiée et dominée par les différences de couleur de peau. La conversion est aussi parfois une façon de tourner le dos au catholicisme, à la civilisation occidentale. Par ailleurs, pour beaucoup l'islam semble une voie très détournée pour retrouver l'Afrique. Il y a aussi des Martiniquaises qui se convertissent. Malgré les idées reçues, elles estiment que sur plusieurs points l'islam accorde davantage de dignité et de respect à la femme que la société martiniquaise.


 

La mosquée, un ancrage musulman en Martinique

L'évolution majeure pour cette communauté c'est la construction de la mosquée ?

Oui, elle va représenter un ancrage musulman visible sur le territoire de la Martinique.

Déjà, c'est très important. En plus il y a une architecture particulière. Ce n'est pas le cas par exemple de la synagogue à Schoelcher inaugurée en 1996, qui est un beau bâtiment mais que rien n'identifie comme une synagogue de l'extérieur. Alors qu'avec la mosquée il y a la volonté d'avoir une architecture vraiment musulmane.

Quel est le regard des Martiniquais sur l'islam selon vous ?

C'est ce sur quoi je vais essayer de travailler maintenant. Il y a eu pendant très longtemps une grande méconnaissance, une confusion totale avec tous les extrémismes musulmans. Mais en Martinique, la présence de musulmans est loin d'avoir été érigée en problème politique national, en raison de la multiplicité des groupes religieux dans l'île, mais aussi du faible nombre de musulmans, de leur discrétion et leur modération religieuse : ils n'ont jamais défrayé la chronique locale. Cependant lorsqu'il s'est agi de construire la mosquée, ils ont rencontré, de la part d'élus municipaux, et de particuliers, les mêmes objections que celles largement utilisées en métropole.

Liliane KuscinskyLiliane Kuscinsky

- Un imam martiniquais

Ali Charpentier est l'un des premiers Martiniquais à s'être converti à l'islam, en 1981.Ali Charpentier est l'un des premiers Martiniquais à s'être converti à l'islam, en 1981.

Ali Charpentier est tailleur de profession, et... imam. Pas très commun sur une île où on serait plus enclins à voir naître des vocations de prêtre ou de pasteur.

Il est un des premiers Martiniquais à s'être converti à l'islam, en 1981 au contact de Fodé Marega. Il lui est resté fidèle quand une fronde s'est élevée contre le Malien à la fois guérisseur et imam, divisant les musulmans de l'île en deux associations. Aujourd'hui encore il officie à la prière du vendredi dans un local situé aux Terres-Sainville. Comme beaucoup de Martiniquais, Ali Charpentier (prénom qu'il a adopté suite à sa conversion), est né dans une famille catholique. Dès sa jeunesse, une foi profonde l'habite mais comme il explique : « Il y a des choses que je ne comprenais pas, auxquelles je n'adhérais pas. Mais je n'avais pas accès à d'autres livres religieux que la bible, et je me sentais profondément croyant » .

En 1975, il part étudier à Paris. Les pieds sur le continent il en profite pour faire le voyage vers l'Afrique : Maroc, Sénégal, Nigéria... A la faveur de rencontres, il s'intéresse à l'islam « par curiosité » , et il est touché par l'hospitalité et la culture des familles qui l'accueillent. Trois ans plus tard, il enjambe de nouveau l'océan et revient au pays.

Pas de Noël, ni de carnaval

Tombé malade, le jeune homme souffre alors d'horribles douleurs à la jambe. Face à l'échec des médecines conventionnelles, il va voir Fodé Marega, le guérisseur : « Il m'a donné un an pour guérir, et au bout d'un an j'ai effectivement été guéri. Ensuite nous avons gardé contact. Il me parlait du Coran et moi je lui parlais de la Bible. C'était un homme très ouvert » . En recherche de vérité, et encore dans une quête spirituelle, Ali Charpentier trouve ses réponses dans l'islam : « C'est Allah qui guide... » dit-il simplement pour expliquer sa conversion.

Son épouse, qui est infirmière, est convaincue par l'islam elle aussi. Le couple, à la surprise de son entourage, adopte cette religion et élève ses quatre enfants selon ses principes. « Il n'y a pas eu d'opposition de leur part, nous ne prêchions pas, on vivait simplement l'islam avec eux. Bien sûr cela suscitait un peu de curiosité, le choix des prénoms, le fait qu'on ne célèbre pas Noël ou le carnaval... Ici nous sommes minoritaires, c'est d'autant plus méritoire de pratiquer l'islam » .

Après le départ de Fodé Marega en 1985, Ali Charpentier assume la charge d'imam de la petite communauté.

Aujourd'hui encore il assure : « Je me sens la responsabilité de transmettre le message. Notre communauté est petite mais on fait avec ce qu'on a, et nous essayons de rester ouvert aux autres » .

Homme simple et discret, aux convictions profondes, Ali Charpentier résume ainsi la vie du musulman : « Il nous faut toujours chercher à nous améliorer... »

EXPRESS - La sagesse tranquille de Bathie M'Backe

Bathie M'Backe.Bathie M'Backe.

La voix douce, le propos mesuré. Quand Bathie M'Backe s'exprime c'est toujours avec beaucoup de diplomatie. Agé de 64 ans, l'iman d'origine sénégalaise officie en Martinique depuis 24 ans. Après des études en Arabie

Saoudite, à Médine, il est envoyé par la ligue islamique mondiale à la demande des musulmans de l'île. Il enseigne la théologie, l'arabe et dirige la prière du vendredi. C'est un pilier de la communauté qui se réunit au boulevard

Allègre, et qui avait besoin d'un guide ayant de solides connaissances théologiques. L'imam n'oublie pas pour autant ses racines sénégalaises, et chaque année il fait le voyage vers l'Afrique.

EXPRESS - Paroles de femmes

Khadidja, médecin

« Je suis Marocaine, je vis en Martinique depuis 10 ans. C'est plus difficile de pratiquer l'islam ici que dans mon pays, surtout pour les musulmans qui portent des signes qui les identifient comme tels. Mais ces signes font partie de notre foi, ce n'est pas une volonté de montrer, de revendiquer quelque chose. Nous sommes vraiment embêtés que les gens perçoivent les choses ainsi. Je ne ressens pas d'agressivité, mais il y a des regards... »

Fatima, martiniquaise convertie

« Même si nous sommes un peu loin de tous ces débats sur l'islam cela nous touche quand même. On se pose des questions. Mais ici nous n'avons pas de problème avec les gens, même ma façon de m'habiller ne dérange pas, on me demande plutôt si je suis rasta, car le tèt maré fait partie de notre culture.

Le problème c'est que les médias français renvoient une image négative de l'islam. »

Sarah, originaire de Djibouti

« La religion musulmane est amour, tolérance et sagesse. C'est ce que mes parents m'ont appris.

Il y a 42 ans que je vis en Martinique, mes voisins savent que je suis musulmane et que mes enfants aussi. Nous n'avons jamais eu aucun problème avec les gens. Nous sommes tous égaux, chacun a sa religion et doit pouvoir pratiquer à sa façon.

 

Source : http://www.martinique.franceantilles.fr/actualite/societe/a-la-rencontre-des-musulmans-11-04-2011-108384.php